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Le sens du rythme, le temps des soupirs

Dernière mise à jour : 7 mars 2020


Les cinéastes n'aiment pas (trop) la télévision. Pour Jean-Luc Godard, "le cinéma c'est un art, la télé c'est un meuble". Fellini, quant à lui, pointait "l'extrême superficialité" du média, basé sur la seule "sensation épidermique". Dans une interview dont un extrait circule ces jours-ci sur les réseaux sociaux, le célèbre réalisateur italien lie cette absence de profondeur au zapping qui condamne le spectateur versatile à "l'incapacité de suivre une description, une atmosphère, une image silencieuse". Nous étions alors en 1982. Que dirait aujourd'hui Fellini à l'heure où d'innombrables médias en ligne nous bombardent quotidiennement de millions d'images dont nous avons du mal à décrocher si nous ne nous imposons pas volontairement des limites ? Dispersion, attention fractionnée, écoute en pointillé, ces dommages contemporains sont désormais documentés et bien connus.


Pourtant, souligne Fellini, la durée des images, que le réalisateur de cinéma choisit méticuleusement, les temps de silence, les pauses, ont un sens : elles signifient et communiquent quelque chose, elles ne sont pas aléatoires.


Ce sens du rythme, pour les images, est à mon avis également requis pour les paroles. Lorsque nous nous exprimons à l'oral, nous ne pouvons pas déverser des flux ininterrompus de mots et de phrases sans nous préoccuper de l'autre, de son écoute. D'ailleurs, il y a fort à parier que notre interlocuteur sera rapidement distrait et son attention relâchée si nous ne soignons pas le rythme. Prendre soin du rythme, c'est prendre soin de la relation. Même si notre débit est naturellement rapide, nous devons nous efforcer de ménager des pauses. Pour que l'autre puisse intégrer et analyser ce que nous tenons à lui dire, pour qu'il·elle ait une chance de pouvoir nous répondre, de dialoguer, sans se sentir obligé de nous interrompre, la pause, même brève, est nécessaire. Ce qui est vrai du dialogue, l'est aussi du discours, de l'interview… bref, de toute prise de parole.


Comme en musique, où les notations ne manquent pas pour signifier les silences il peut être judicieux de visualiser mentalement des pauses pour maintenir l'intérêt lorsque nous prenons la parole.

Et tant pis si le temps semble manquer alors que nous avons tant à dire : il faut accepter de se frustrer et faire une place au temps du soupir. Pas tant parce que la communication serait très majoritairement non verbale (il a été avancé que 93% de notre communication serait non verbale, une estimation répétée comme un mantra jusqu'à la nausée et dont les fondements scientifiques sont aujourd'hui remis en cause, notamment ici par les auteurs de PodcastScience.fm). Mais surtout parce que la qualité du discours n'est pas liée à la quantité de faits et de concepts exprimés. Elle tient beaucoup, en revanche, à l'attention à l'autre, à l'estime que nous avons pour notre interlocuteur, et les temps de silence, aussi infimes soient-ils, en témoignent.


Sources images :


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